Rémus Faber a écrit :Voici une traduction fidèle à l'esprit et à la lettre du texte:
" César allait secourir la Province par le chemin le plus sûr; Vercingétorix installa trois camps à 10 000 pas des Romains au moment où (traduction de "cum") ceux-ci franchissaient la frontière des Lingons à son extrémité pour entrer en pays séquane"
Il manque un morceau, ceci dit, dans ta traduction et l'ordre des propositions n'y est plus du tout, ce qui la rend moins fidèle à l'esprit et à la lettre du texte que tu ne l'affirmes, si tu me permets cette remarque: "Magno horum coacto numero...", est la proposition qui démarre la phrase.
La phrase complète en latin, c'est : "
Magno horum coacto numero, cum Caesar in Sequanos per extremos Lingonum fines iter faceret, quo facilius subsidium provinciae ferri posset, circiter milia passuum decem ab Romanis trinis castris Vercingetorix consedit", ce que Constant traduit par: "Vercingétorix forme de ceux-ci un corps nombreux et, comme César faisait route vers le pays des Séquanes en traversant l’extrémité du territoire des Lingons, afin de pouvoir plus aisément secourir la Province, il s’établit, dans trois camps, à environ dix mille pas des Romains "
Vercingétorix est le sujet de la phrase et réalise deux actions:
1/ Il forme un corps nombreux des cavaliers et guerriers évoqués dans la phrase précédente (
Interea, dum haec geruntur, hostium copiae ex Arvernis equitesque qui toti Galliae erant imperati conveniunt., BG VII,66,1).
2/ il s'établi dans trois camps à 10.000 pas des romains.
Ces deux actions ne sont évidement pas simultanées:
-Elles ne répondent pas à la même unité de temps: la formulation ne laisse aucun doute sur le fait que la formation du "corps nombreux" et son déplacement pour intercepter César précèdent l'établissement des trois camps. Ce corps est effectivement nombreux, puisque malgré les pertes subies dans la bataille de cavalerie, il en restera 80.000 guerriers et 15.000 cavaliers dans Alésia. Tu m'accorderas donc que cette action là, s'inscrit sur une certaine durée, à un moment qui n'est pas celui de l'établissement des trois camps: la troupe en question a été constituée et déplacée entre la désignation de Vercingétorix à Bibracte et l'épisode des trois camps.
-Elles ne répondent pas non plus à la même unité de lieu puisque, comme il l'est dit dans la phrase précédente, elle vient de chez les Arvernes (les défenseurs de Gergovie ?) pour la troupe, et de toute la Gaule pour la Cavalerie: les trois camps, eux, sont à dix mille pas des romains, la veille du combat de cavalerie tandis que la troupe est constituée et déplacée depuis un lieu non précisé, à un moment inconnu vers celui où les trois camps sont établis.
Entre les deux, il y a l'action de César:
"cum Caesar in Sequanos per extremos Lingonum fines iter faceret, quo facilius subsidium provinciae ferri posset". Il y a la deux proposition, l'une de temps, et l'autre de but que tu choisis de séparer: est-ce vraiment, là encore, fidèle à la lettre?
Puis tu choisis de rattacher le mouvement de César à l'établissement des trois camps... ce qui t'oblige à emprisonner le mouvement, indubitablement marqué par "
iter faceret" dans une unité de lieu que, par définition, il n'a pas: est-ce vraiment fidèle à l'esprit?
Si l'on regarde la construction de la phrase en latin, trois épisodes se distinguent: les deux premières propositions se succèdent et résument des déplacements de troupes sans réelle précision quant à leur origine (date, lieu ?) ou leur durée:
- la constitution de la troupe de Vercingétorix, avec en sous entendu son déplacement pour intercepter César;
- la fuite de ce dernier depuis les Lingons en passant par les Séquanes, pour aller plus facilement secourir la province;
- et enfin, une troisième qui termine toute la phrase et qu'on peut tous parfaitement fixer dans le temps, l'établissement des trois camps, la veille de la bataille de cavalerie.
A mon humble avis, au vu de ces élément, il est plus évident de rattacher le mouvement de César à la constitution de la troupe Gauloise et à son déplacement (certes sous-entendu mais...il a bien fallu qu'ils bougent) qu'à l'établissement des trois camps.
Chronologiquement, je pense donc plutôt que les déplacements des Gaulois, sous entendus dans
"Magno horum coacto numero", se font simultanément au mouvement des Romains chez les Séquanes et les confins des Lingons et que l'établissement des trois camps succède à ces deux actions simultanées dont elle est la conclusion.
Sur les deux actions simultanées, César reste extrêmement vague et je rejoins ici l'opinion de Jean Yves Guillaumin, Professeur à l'Université de Franche Comté: c'est volontaire de sa part!
Dans son excellent article "« Dissimulation et aveu chez César autour du combat de cavalerie préliminaire du siège d’Alésia (Bellum Gallicum VII, 66, 2) »(1), il démontre, à la manière de Michel Rambaud(2), tout l'art qu'à César de raconter les événements à son avantage, dans le fameux passage
"in Séquanos"... que l'auteur de "L’Art de la déformation historique dans les Commentaires de César" avait oublié (?) justement de commenter.
César est en fuite et ignore tout des actions, des intentions et de la position des Gaulois: il ne veut pas trop s'en vanter.
Il veut donner l'impression qu'il contrôle la situation. Placer la constitution de la troupe de Vercingétorix en premier lui permet laisser croire qu'il était au courant et d'excuser qu'il ait failli y rester. Ensuite, il décrit son itinéraire d'une façon laconique qui ne permet pas d'en connaître la durée, ni l'endroit où il est lorsqu'il est intercepté... et enfin il donne l'impression que pendant tout ce temps, il sait où sont les Gaulois: ils sont dans trois camps à 10.000 pas de lui, pardi!
Or, ces informations, il semble évident qu'il les a eu a posteriori: la description de l'attaque Gauloise ne laisse aucun doute sur le fait que les romains avançait en colonne (disposition hautement risquée qu'ils évitaient en territoire hostile), et que l'attaque les a surpris... puisque qu'il faut un certain temps entre l'attaque de la tête de colonne et le moment où César en est informé. S'il avait eu préalablement connaissance de la présence des gaulois, de leur position et une idée de leur nombre qu'aurait pu lui indiquer la taille de leurs camps, Jules César ne se serait pas fait surprendre comme un bleu le lendemain.
La vérité qu'il veut cacher, en en disant le moins possible, c'est peut-être qu'il ne s'attendait pas à ce coup là. Il ne veut peut-être pas écrire qu'il progresse depuis plusieurs jours en pays Séquane, après avoir traversé les confins des Lingons, sans aucun problème, sans trace des Gaulois... et qu'il a baissé sa garde!
Alors il nous emballe tout ça dans un beau papier cadeau, avec un bel écran de fumée... qui nous complique singulièrement la recherche d'Alésia.
Il ne nous dit ni où il est, ni d'où il vient, ni depuis combien de jours il progresse: Il écrit juste qu'entre le moment où Vercingétorix a constitué sa troupe et établi ses trois camps, lui c'est déplacé par les confins des Lingons et le pays Séquane...pour porter plus facilement secours à la Province (toujours la bonne excuse!).
Cela n'exclu pas qu'Alésia soit où tu le penses et me semble, ne m'en veut pas, nettement plus conforme à l'esprit et à la lettre...
A ta décharge, j'irais jusqu'à penser que c'est peut-être bien ce brave Constant qui t'aura sournoisement influencé, le bougre! D'abord, il place Vercingétorix en début de phrase ce qui démoli toute la composition de César, lequel cherche toujours à minimiser ses erreurs en se citant d'abord, laissant entendre que c'est lui qui contrôle, et en alignant les excuses avant de cracher sa valda. Ensuite, il ajoute un "et", inexistant dans le texte latin, entre la première action de Vercingétorix, la constitution de l'armée gauloise, et celle de César... donnant effectivement l'impression que ces deux événements se succèdent dans le temps au lieu de se superposer... et induisant du même coup que c'est l'établissement des trois camps qui serait concomitant au mouvement de César... qu'il situe bien évidement dans les confins des lingons... en direction d'un territoire Séquane qu'il ne saurait atteindre puisque Alise est Alésia!!!
Bien joué Constant et merci, Remus Faber: sans notre discussion, je n'aurais sans doute jamais tilté sur la manœuvre! Ce "et" n'existe pas, c'est un tour de passe-passe!
La bonne traduction, peut-être plus fidèle à l'esprit et à la lettre, ressemblerait donc plutôt à : "ayant (ou plus clairement: après avoir) constitué de ceux-ci un corps nombreux, tandis que (dans le même temps) César progressait en territoire Séquane depuis les confins( ou la frontière) des Lingons, dans l'intention de porter plus facilement secours à la Province, Vercingétorix s’établit dans trois camps, à environ dix mille pas des Romains (qui s'était donc arrêtés...on ne sait où)."
"depuis" semble un peu hardi, j'en conviens pour traduire
per mais il me semble que ce
per évoque plus où moins le "moyen" (3ème acception selon le Gaffiot) par lequel César est entré en Séquanie et depuis me semble évoquer correctement cette idée.
Le corps nombreux a été constitué et est venu à sa rencontre pendant que César se déplaçait. Rien n'indique où César se trouve en Séquanie, ni depuis combien de jours il y marche quand Vercingétorix l'intercepte... et c'est voulu de la part de César qui ne s'étend pas sur un épisode où il ne se passe finalement rien... et qui n'est guère à sa gloire... contrairement à la suite!
(1) Jean-Yves Guillaumin, « Dissimulation et aveu chez César autour du combat de
cavalerie préliminaire du siège d’Alésia (Bellum Gallicum VII, 66, 2) », Cahiers des
études anciennes [En ligne], XLVI | 2009, URL :
http://etudesanciennes.revues.org/167
(2) M. RAMBAUD, L’Art de la déformation historique dans les Commentaires de César,
Paris, Les Belles Lettres, 1 966 (1 952 ).