simone guillou a écrit :municio a écrit :A propos de la bataille préliminaire de cavalerie
On n'a sûrement pas mesuré assez combien cette bataille avait été périlleuse pour les Romains,notamment pour leur général en chef.
2 anecdotes concernant ce dernier méritent d'être contées.
1) Servius le Grammairien,qui a puisé l'histoire dans un livre de Mémoires de César qui ne nous est jamais parvenu appelé 'les Ephémérides",raconte briévement la capture de César en personne par un cavalier gaulois.Celui-ci l'emportait sur son cheval lorsqu'un de ses confrères lui cria "Lache le! lache le!".Il se trouve que
"Lache le",en gaulois,se dit...Caisar! ou Caesar!
Le proconsul dut sa liberté à cette homonymie.
2) Plutarque,dans son ouvrage "la vie de César",qui prenait surtout ses sources dans une biographie de César faite par un grand ami et partisan de celui ci C.Oppius,ainsi qu'à un participant romain de la guerre des Gaules nommé Asinius Pollion,raconte succintement l'issue heureuse de cette bataille (chapitre XXIX),mais prend soin d'ajouter:
"Il semble néanmoins qu'il y reçut d'abord quelque échec;car les Arverniens (sic,pour Arvernes!) montrent encore une épée suspendue dans un de leurs temples,qu'ils prétendent être une dépouille prise sur César.Il l'y vit lui-même par la suite et ne fit qu'en rire;ses amis l'engageaient à la faire ôter;mais il ne le voulut pas,parce qu'il la regardait comme une chose sacrée".
Ces 2 anecdotes,qui se sont très certainement produites lors de la bataille préliminaire de cavalerie,montre assez la chance,la fameuse "fortune césarienne",qu'a eu le proconsul.
César emporté,même briévement,par un cavalier gaulois et perdant son épée,ce n'est tout de même pas banal!
Il est très surprenant qu'aucune mention du danger extrême qu'avait vécue l'ée romaine dans la première phase de cette bataille,et particulièrement son général en chef,ne soit évoqué dans la "Guerre des Gaules".
C'est très troublant.
Je pense que cela cache quelque chose.
J'y reviendrai plus tard.
M. Fèvre, le deuxième créateur de l'hypothèse d'Alésia à Guillon, avait planché sur cette bataille de cavalerie et avait édité en 1985 un opuscule sur ce sujet, où le trait le plus intéressant concerne la probabilité, pour lui, que l'armée romaine dut ''souffrir' beaucoup plus que ce qu'en dit César''. Au point que M. Fèvre n'hésitait pas à penser que ce fut ''plus une victoire gauloise et une déroute romaine'' qu'autre chose. Ce qui est très possible ( à défaut d'en être sûr) si on considère quelques aveux de César. Possible mais difficile à étayer. Cela reste une hypothèse intéressante à laquelle j'adhérerais assez.
Que cela ''cache quelque chose'' selon la formule de municio, bien malin qui peut en être sûr, et quoi....
Je m'attendais un peu,à vrai dire,à de la circonspection de ta part sur le sujet,et cela va être à la fois une excellente occasion de te répondre et en même temps de revenir sur la structure et la signification de la phrase très importante (en 7,66,2), commençant par "Magno horum... et se terminant par ....Vercingetorix consedit",précédent la bataille préliminaire de cavalerie,et que je situais au 4e niveau dans un mail précédent.
Il y a plusieurs décennies maintenant,un chercheur sagace et perspicace,Michel Rambaud,écrivit un remarquable ouvrage intitulé "L'art de la déformation historique dans les commentaires de César (Paris,Les Belles Lettres,1966).
Un autre chercheur perspicace,Jean Yves Guillaumin,a utilisé la grille de lecture de Michel Rambaud,et l'a appliqué à la phrase 7,66,2.Voici ce qu'il écrit en 2009:
"Les travaux de M. Rambaud permettent de procéder à une analyse de la phrase 7,66,2 qui met au jour les véritables ressorts de sa composition.
La phrase présente un procédé de style habituel chez César pour expliquer un insuccès ou dissimuler quelque chose que César tient particulièrement à cacher.Ce procédé,étudié par M.Rambaud sur de nombreux éxemples,et tellement fréquent "qu'on doit se demander s'il ne domine pas toute l'oeuvre (p.152),"consiste à introduire dans le récit avant la révélation des échecs et des fautes les indications qui peuvent soit les compenser,soit les expliquer" (p.153).
Pour présenter,donc,"un incident malheureux",comme dit encore M.Rambaud au même endroit,César procède "toujours de la même façon.L'incident est énoncé dans la proposition principale,mais cette principale est précédée de circonstancielles qui font compensation ou qui donnent une explication du fait" (p.153).
Or,en 7,66,2,trois circonstancielles justificatives précèdent la principale,dont le sujet est...Vercingétorix,véritable maître du jeu.
Il y a d'abord un ablatif absolu:"magno horum coacto numero" (première justification d'une affaire qui faillit mal tourner:fort contingent gaulois).
Puis la temporelle causale "cum Caesar....iter faceret" (deuxième justification:Vercingétorix a obtenu un renseignement sur l'itinéraire de César,ce qui a entrainé son action).
Ensuite une finale:"quo facilius...posset" (troisième justification,la plus importante en direction du Sénat et du public romain:César avait adopté cet itinéraire pour se porter au secours de la Province).
Enfin la principale:"circiter milia passuum X ab Romanis...Vercingetorix consedit" (l'aveu:le Gaulois s'est installé en position d'interception,et César ne l'a pas su...).
Le shéma mis au jour par M.Rambaud apparait clairement.
Il y a donc de la dissimulation dans la phrase 7,66,2 et dans son contexte.
César ne tient pas à ce certains détails soient trop apparents.
Les éléments gommés apparaissent pour peu que l'on se penche aussi bien sur la phrase elle-même que sur l'ensemble du récit qui la précède et la suit immédiatement".
Ensuite,le chercheur va s'appliquer à démontrer que les éléments que César cherche à cacher sont :
1)
La faillite du renseignement romain
Elle est caractérisée par les 3 mots trouvés au chapitre 7,67 "qua re nuntiata" càd "Quand César apprend la chose".
Il n'est pas en tête de la colonne et l'évènement le surprend.Il a pourtant des services de renseignement,mais ne les a pas fait fonctionner,ou insuffisamment.Il n'a pas connu par ses "exploratores" l'installation "trinis castris" de Vercingétorix et la menace imminente qui pesait sur son déplacement.
Comme l'écrit Ch. Jordan,"la surprise est complète.Il est informé par un agent de liaison ("qua re nunciata");aucun élément n'avait été consacré à la sécurité rapprochée puisqu'on a ignoré la proximité de l'ennemi".
On ne peut pas dire que ce soit un bon point pour l'impérator.
2)
César s'est fait surprendre dans une formation de marche vulnérable:le "longissimum agmen".
Il semble bien que César se soit fait surprendre par les détachements équestres gaulois alors que l'armée romaine était en longue colonne où les bagages de chaque légion étaient intercalés derrière celle ci et devant la suivante,formant ce que l'on nomme en latin le "longissimum agmen".
Tous les experts militaires sérieux sont d'accord sur ce point (Gilbert Moutard,Henri Lemire,Marc Terrasson...).
C'est un type de formation qui est adopté quand on s'estime hors de danger et en sécurité (sinon en cas de danger,l'armée romaine adopte la formation de l'agmenquadratum,légions disposées en carré,les bagages au centre).
Mais ce type de formation (le longissimum agmen) est très dangeureuse si l'ennemi est dans les parages et est pour ainsi dire faite pour être attaquée,comme l'a dit Tacite:"longum impeditorum agmen,opportunum insidias" (Annales II,5).
César lui même avait fait reproche aux malheureux Titurius et Cotta d'avoir imprudemment abandonné leur camp en pareille équipage "longissimo agmine maximisque impedimentis" (en 5,31,6).
C'est bien en longissimum agmen que chemine l'armée romaine puisque,lorsque sont éxécutés les ordres de César en face du déferlement des trois corps de cavaliers gaulois,le texte précise en effet en 7,67,3 que "la colonne fait halte;on rassemble les bagages au milieu des légions".
Tel était le plan de Vercingétorix:attaquer les Romains "agmine impeditos","en ordre de marche et embarrassés par leurs bagages".
L'image de César n'est donc pas réhaussée aux yeux d'un lecteur pourvu d'un peu d'esprit critique.
Pour reprendre une phrase que M.Rambaud applique à un autre épisode,"sa faute était de n'avoir pas respecté les règles de la sureté".
Voilà avant tout ce que César cherche à cacher.