


Depuis trente ans, il est l’infatigable défenseur de la planète. Le biologiste, fondateur de l’Institut européen d’Écologie, lance un cri d’alerte. Dans Nature et spiritualité (1), il adopte une position de croyant militant, pour nous rappeler à nos responsabilités et propose des pistes inédites. Pour lui, un changement de civilisation est en marche…
Paru le 21.03.2008, par Anne B. Walter
Madame Figaro. – L’écologiste (2) que vous êtes pousse à nouveau un cri d’alarme : si nos sociétés continuent à rechercher avant tout le profit, nous allons droit dans le mur. N’y a-t-il pas pourtant aujourd’hui une prise de conscience planétaire des enjeux écologiques ?
Jean-Marie Pelt.* – Absolument. En tant que français, on pourrait avoir le sentiment que grâce au Grenelle de l’environnement nous avons subitement inventé le développement de la conscience écologique, mais en réalité l’effervescence est la même partout. Al Gore a présenté son film dans le monde entier, et l’ONU a été non seulement à l’origine du Sommet de la Terre, à Rio de Janeiro en 1992, et du Sommet mondial pour le développement durable, à Johannesburg en 2002, mais aussi l’organisatrice, en décembre dernier, du Colloque de Bali sur le climat. C’est donc vraiment le monde entier qui bouge : cela montre que nous sommes en train de changer de culture. Nous sortons d’un monde où la nature était un réservoir dans lequel on puisait; aujourd’hui, les ressources s’épuisent, et la Terre est un dépotoir pollué.
Une page est donc tournée, et nous allons devoir appliquer un modèle qui ressemble beaucoup plus à la nature, ignore la croissance quantitative, recycle, et qui par conséquent sera organisé sur l’idée d’équilibre, dans le lien que nous allons faire entre économie et écologie. C’est un changement de culture très important. Dans les changements majeurs, il y a eu la révolution néolithique, il y a sept mille ans, lorsque nous avons commencé à cultiver; au XIXe siècle, la révolution industrielle, à partir de laquelle nous avons exploité durement la nature. Aujourd’hui, on arrive à une troisième étape.
Vous dites que nous avons perdu notre lien profond avec la nature et que celui-ci est nécessaire pour la préserver. Mais comment le retrouver dans un monde dominé par l’urbanisme, la course à l’emploi et la vie virtuelle ?
– Par l’éducation. Quand j’étais enfant, je vivais dans le jardin de mon grand-père et je me baignais dans la rivière On était totalement immergé dans la nature. Aujourd’hui, c’est fini, ce lien est cassé. Les enfants sont instrumentalisés par la mécanique de consommation. Que représentent les fleurs des champs pour un ado, comparées à son MP3 ou à ses textos ? Comment restaurer ce lien ? C’est ce à quoi nous travaillons dans mon Institut, à Metz, où nous essayons d’œuvrer à la fois sur le plan mondial et local.
Par exemple, nous développons des actions dans les maternelles en créant des jardins dans les cours de récréation, où des jardiniers vont travailler avec les enfants. À Metz, toute la ville fonctionne ainsi, et beaucoup d’autres villes nous ont suivis. Il s’agit de montrer aux enfants combien les plantes nous ressemblent. Ce n’est pas la peine d’installer des ordinateurs à la maternelle ; ils apprennent tous très vite comment cela marche. Ce qui vaut la peine, c’est de les mettre là où ils ne sont plus jamais ou presque. Et il faut le faire très tôt, car ce « sentiment de nature » se développe dans le jeune âge.
L'habitat doit changer"
Pensez-vous que ce type d’initiatives soit suffisant ?
– Sûrement pas. Elles devraient être poursuivies et prises en compte par l’Éducation nationale, encore très timide en France par rapport à ce qui se fait au Danemark, par exemple, où pendant tout le parcours scolaire l’écologie occupe une place essentielle. Nous devrions être beaucoup plus soucieux de développer l’enseignement des sciences naturelles, qui depuis longtemps a cédé le pas à celui de la biologie moléculaire
pour nous, adultes urbains soumis à la pression, à la tension et à la rapidité, comment recréer un lien avec la nature ?
– L’habitat doit changer, et je pense que nous allons évoluer, comme c’est déjà le cas en Allemagne, vers de petits collectifs habillés de jardins avec une gestion plus harmonieuse de l’énergie. Les barres et les tours, c’est fini. Au Canada, on aménage les toits en jardins, ce qui est une manière de se lover dans la nature tout en vivant en ville.
Vous montrez par ailleurs comment les religions et les grands courants spirituels intègrent tous un rapport fort avec la nature. Réveiller en nous des préoccupations spirituelles, ce serait une manière de sauver la planète ?
– On a l’impression qu’il le faut. Si vous considérez l’ensemble des religions, vous leur trouvez trois idées communes. D’abord, l’idée que le sort de l’homme et celui de la nature sont étroitement liés. Si l’homme déraille, la nature déraille avec lui. Le réchauffement climatique en est l’exemple moderne. Ensuite, l’idée que l’homme doit être sobre dans sa consommation des ressources naturelles. Ce thème de la sobriété est partout. Autant dans le bouddhisme que dans l’islam ou le christianisme. Enfin, il y a dans toutes les religions l’idée de combattre cette propension de l’homme à se prendre pour un dieu : c’est le mythe de Prométhée chez les Grecs, celui du serpent tentateur dans la Bible, identique dans le Coran ou même dans le taoïsme.
Or nous sommes actuellement dans une civilisation qui prend à rebours ces trois mises en garde : nous cassons le lien avec la nature, donc elle se venge sur le plan climatique; nous ne sommes pas sobres mais consuméristes, boulimiques, donc nous épuisons les ressources de la terre; enfin, nous sommes tout à fait prométhéens, puisque nous expérimentons dans nos laboratoires les choses les plus folles, donc nous sommes coupés des grandes sagesses qui sont tout de même le patrimoine de l’humanité. Je pense qu’il faut réfléchir sur cela.