Ce qui frappe le plus chez lui au-delà de la simplicité, ce sont les brusques accélérations. De ce regard bleu délavé, passant d'une intense fixité à la malice d'un clin d'oeil. De ce corps trapu à la stature de terrien, légèrement courbé, dont les mains s'naiment soudain comme des papillons pour mieux décrire ou empoigner le boîtier qui ne le quitte pas. Raymond Depardon est fils de paysan avant d'être photographe. C'est à Villefranche-sur-Saône, à la ferme familiale du Garet, à l'âge de 12 ans, que cette curiosité de "regardeur" lui est venue et, classes faites, depuis près de 50 ans, il court le monde.
Etat des lieux
Hier, à la Saline Royale d'Arc-et-Senans pour présenter une exposition sur la Franche-Comté, avant-hier en Patagonie, demain "loin, loin, loin..." Trente photographies couleur en grand format, résultat d'une commande de la Région, dans le cadre d'un "état des lieux photographique de la France" entamé en 2004 et devant s'achever en 2010. Elles sont exposées jusqu'à fin septembre. Que ceux qui connaissent le photographe du désert du Tibesti, de l'asile de San-Clemente ou des chroniques new-yorkaises, le cinéaste de Reporters ou Délits Flagrants l'oublient.
C'est un autre homme, affranchi des contraintes et des techniques, qui parcourt avec l'expérience de l'errance le monde banal et verdoyant de la ruralité.
"L'idée, c'est de porter un regard sur les choses ordinaires" qui parlent "d'où on vient et qui l'on est" et témoignent "de la présence de l'homme qui, au fur et à mesure de l'histoire a modifié le territoire."
Un pari pas si facile "plus les lieux sont tarte à la crème, plus il faut dégager une écoute pour les montrer sans état d'âme."
Discrètement
De la Franche-Comté, Raymond Depardon connaît surtout la Haute-Saône, celle des lacs et de la montagne.
Décourverte il y a vingt ans lors d'un reportage pour le Pélerin, il y revient constamment depuis 1998 pour un film cette fois sur les paysans, sa famille profonde, et le problème des "cédants et des repreneurs."
Il l'a sillonné enfin, à 4 reprises en 2006 avec son fourgon aménagé. Discrètement, car il se méfie de sa notoriété : "Il faut faire attention à ne pas tomber dans le piège d'être flatté. Alors Depardon, à 65 ans, ça lui arrive encore de se faire jeter."
Une vingtaine de jours de travail au total, plutôt à la demi-saison parce que "j'aime le temps gris et lumineux. Le soleil m'embête."
Vite, très vite, sans trop se retourner, avec un appareil au format de négatif 20x25cm "qui a l'avantage de tout placer sur un champ unique, d'égaliser les lumières, les ciels comme les ombres, les trottoirs, les toits, les champs, les maisons, les inscriptions, les détails que nous ne voyons plus" et avec lequel "on ne peut pas tricher."
Et il l'a aimé, ce pays "humain, pas trop bousillé ni vendu au diable" aux gens "formidables". "Dans le Poitou-Charente, j'en bave. Personne ne vient me voir. Personne ne me dit bonjour."
En plus "ici, le vert est beau. D'habitude ça ne passe pas en photo comme au cinéma. la première fois que je suis venu, je ne voyais rien et puis j'ai commencé à apprécier les toits, les pierres, une certaine harmonie. La Franche-Comté possède une identité sans complexe. On la ramène un peu. J'aime bien ça, je suis comme ça aussi, c'est franc, direct et on s'assume."
Article de Fred Jimenez, paru dans l'Est Républicain du 23 juin 2007.