Bonjour Jost,
Ce résumé très visuel...et très résumé de la démarche appelle naturellement toutes ces questions... auxquelles répond la lecture de "la méthode du portrait robot dans la recherche d'Alésia", communication d'André Berthier devant le 109ème Congrès national des Sociétés savantes, le 5 avril 1984 à Dijon (
http://berthier.archeojurasites.org/sit ... -dijon.pdf).
jost a écrit :Pourquoi partir d’un carré, alors qu’un cercle serait plus logique, puisque cette figure géométrique peut contenir toutes les autres formes.
Le choix du carré est un choix de neutralité. Au tout début de sa réflexion, Berthier cherchait à poser les éléments du décors sans a priori formel: le carré est la forme de relief qu'on risque le moins de rencontrer dans la nature, en tous cas dans le nord-est de la France! Cette forme neutre ne risque donc pas d'influencer la suite de sa réflexion. En comparaison, des reliefs circulaires ou rectangulaires, ça existe. Donc, tant qu'il n'a pas posé les éléments qui lui permettront d'affiner son portrait, André Berthier choisi la forme la plus neutre. C'est très cartésien, comme démarche.
jost a écrit :Ensuite pourquoi envisager un triangle, et poursuivre là-dessus ?
César décrit deux "flumina" autour de l'oppidum (BG VII,69,2)... mais il ne reste plus qu'un "flumen", dans les parties basses de la plaine, au moment de mettre en eau l'un des fossés de contrevallation (BG VII,72,3). En toute logique, on doit déduire soit que la rivière de la plaine c'est séparée en deux pour contourner l'oppidum

soit, beaucoup plus probable, qu'elle est le résultat de la confluence des deux autres

: or, un confluent, ça forme toujours une pointe orientée dans le sens du courant! Voici d'ailleurs ce qu'on trouve en cherchant "confluents" dans Google Images:

Et en toute logique, l'image de deux rivières qui bordent un relief important pour se rejoindre dans une plaine, suppose qu'elles s'éloignent plus ou moins régulièrement l'une de l'autre vers l'amont, découpant un relief de forme plus ou moins triangulaire. A ce stade, convient Berthier, le relief pourrait se prolonger par un plateau largement ouvert mais une telle configuration aurait permis un assaut par l'arrière. L'éperon ainsi formé doit donc, pour demeurer "imprenable autrement que par un siège", être barré dans sa partie arrière, à une distance compatible avec les dimensions des travaux de siège césariens et en dégageant une surface qui permette de loger Alésia, ses habitants, les troupeaux rassemblés en quantité... et bien sur Vercingétorix, ses 80.000 soldats et leur intendance et même 15.000 cavaliers et leurs chevaux au début du siège. Schématiquement, on obtient donc un triangle.
jost a écrit :D’autre part, après avoir déterminé « le devant » pourquoi à partir de celui-ci « étendre » une plaine en longueur d’un point à un autre ? Nous savons maintenant que « patere » (s’étendre) induit une étendue en surface. S’étendre d’un point à un autre est réservé à (pertineo, ere).
Oui, d'après mon vieux Gaffiot,
Pateo, patere=s'étendre en surface... lorsqu'on évoque l'étendue d'un pays ou d'un territoire. Le sens premier, qualifiant un espace quelquonque, c'est qu'il est ouvert, accessible, praticable . Là, César parle juste d'une plaine qui s'ouvre en avant de l'oppidum sur une longueur d'environ 3 milles (
Ante id oppidum planities circiter milia passuum tria in longitudinem patebat).Il précise même trois fois qu'elle a une longueur de 3000 pas! Qui s'ouvre par rapport à quoi? Par rapport aux dépressions par lesquelles les rivières longent l'oppidum, nécessairement: Comme une plaine ne saurait s'ouvrir qu'après un passage plus étroit, voilà qui impose l'image de gorges, situées de part et d'autre d'Alésia, au fond desquelles
collis radices duo duabus ex partibus flumina subluebant, lesquelles flumina se rejoignent pour former un unique cours d'eau... que les romains vont dévier dans les parties basses de la plaine, pour remplir le fossé intérieur de leur dispositif défensif: comme ledit dispositif fait nécessairement face à Alésia, la rivière qu'on dévie pour remplir l'un des fossés doit être plus ou moins perpendiculaire à ce dispositif. Elle s'écoule donc depuis le confluent au pied de l'oppidum, perpendiculairement aux lignes romaines qui la traversent, et la plaine de 3000 pas constitue son bassin versant, logiquement orienté sur son axe d'écoulement: D'autres indices concordent avec cette image d'une plaine s'étirant en longueur sur une distance de 3000 pas:
- elle est enclavée entre des collines
intermissam collibus (BG,VII,70).
- à l'arrivée de l'armée de secours, de tous les camps situés sur les crêtes, on a une vue plongeante sur le premier combat (BG, VII,80);
- à l’exception de l'attaque du camps Nord, tous les combats ont lieu dans cette plaine avec d'un coté, les assiégés, de l'autre, l'armée de secours et entre eux, les romains: Sauf à penser que les gaulois étaient des barbares abrutis ne sachant que foncer dans le tas, la concentration même des combats dans la plaine et l'échec systématique des gaulois, malgré une supériorité numérique écrasante amène à penser que c'était le seul endroit offrant suffisamment d'espace pour attaquer en force... mais que les lignes de front, de part et d'autre des romains, n'offraient, malgré tout, pas assez de largeur pour profiter pleinement du surnombre.
Forcément, se dessine, à la lecture du BG, une plaine de trois milles pas avec, à un bout, Alésia, à l'autre, l'armée de secours, entre les deux, les romains qui tiennent également les hauteurs le long de la plaine!
jost a écrit :Enfin, comment savoir que le Nord est là, où situé dans le portrait-robot ?
Ce qui détermine l'orientation générale du schéma, c'est l'objectif de César qui veut "porter secours à la Province": Alésia est donc un obstacle sur une route globalement nord-sud, devant lequel, au vu de sa description, César arrive vraisemblablement par la plaine...donc, par le Nord, puisqu'il va vers le Sud!
Le Nord proprement dit, c'est la montagne évoquée au BG, VII, 83. Sa position relative par rapport à la plaine se déduit du fait qu'elle n'a pu être comprise dans les lignes de défense romaines et qu'elle a dû être contournée par Vercassivellaunos avant l'attaque du camps Nord.
Puisque la montagne est au Nord d'Alésia et qu'elle abrite un camps constituant la limite nord des défenses romaines, lequel camps surplombe la plaine, cette dernière doit nécessairement s'étendre au delà de ladite montagne, soit par le nord-ouest, soit par le nord-est, puisque les romains se sont nécessairement positionnés au plus près de l'oppidum, libérant la partie de la plaine qu'investira la cavalerie de secours. Ce que le dessin ne dit pas, mais qui est précisé dans l'exposé de la méthode, c'est qu'à ce stade, on ne peut effectivement déterminer l'orientation de la plaine.
Berthier a donc testé les deux orientations possibles sur l'ensemble des "Alésia candidates" , puis sur tous les oppida alors connus de la zone de prospection qu'il avait délimité (de Montbard à Montbéliard, au Nord et de Vienne à Chambéry au Sud) avant d'élargir à des sites non encore envisagés...et de découvrir Chaux des Crotenay!