Il figurait déjà dans tous les guides, mais il vient d'accrocher une nouvelle couronne à son blason. Depuis le 21 octobre, l'hôtel Arbez-Franco-Suisse de La Cure dans le haut-Jura appartient à l'association des cafés historiques et patrimoniaux d'Europe.
Il est le premier établissement de Franche-Comté admis dans ce club des enochiens du zing. Une caste où l'on n'entre que sur présentation d'une solide lignée familiale pouvant attester d'« au moins 80 ans d'exercice derrière le bar ».
Ainsi le pittoresque et chaleureux hôtel-bar-restaurant à cheval sur la frontière près des Rousses rejoint-il des collègues prestigieux comme le Café de Paris à Monte-Carlo, l'Excelsior à Nancy, Aux Armes de Strasbourg, ou le bouchon Le Jura à Lyon.

Dans la cour la borne frontière porte encore côté France l'aigle impérial.
Douanier zélé
Aux manettes aujourd'hui, Alexandre Peyron et sa soeur Bérénice Salino représentent la quatrième génération. Depuis que les fils du fondateur, Alphonse et Raymond Ponthus, ont légué la maison à l'arrière-grand-père Jules Arbez en 1920.
Un établissement auquel ils sont très attachés, car « il est un témoignage vivant du patrimoine historique et humain de ce coin de terre ». Il est vrai que peu de bistrots peuvent s'enorgueillir d'appartenir à deux pays. « Surtout que la maison a été construite en même temps que la frontière en 1863 et couverte en une nuit à la barbe des Suisses qui ne pouvaient plus exiger sa démolition », explique Alexandre.
Avec une porte d'entrée et de... sortie sur chaque territoire, il en a connu des aventures et des anecdotes l'hôtel Arbez. L'une d'entre elle est immortalisée par le tableau des joueurs de cartes emblème de l'établissement. Pour rappeler qu'un jour un douanier zélé est venu verbaliser pour contrebande deux joueurs de belote attablés côté suisse avec un jeu... français.
Pendant la guerre, la ligne de démarcation longe l'hôtel. Le parking dépend de Vichy. Les Allemands prennent pension « côté France » au restaurant. A l'étage « sur Suisse » le grand-père Max, chef d'un réseau de résistance planque des agents de liaison et des pilotes de la RAF...

La façade de l'hôtel côté suisse.
Le « verre de la conciliation »
« Les soldats n'ont jamais tenté de grimper l'escalier », sourit Alexandre Peyron. Pas même quand les plans des V2 sont passés par l'hôtel pour gagner Londres. En 1958, Edgar Faure, fidèle des lieux « adoubait » grand-père Max, promu par le Président du Conseil « Max 1er souverain de la principauté d'Arbézie ». Un royaume grand comme le quart du stade de France, peuplé de 15 sujets.
Alexandre est très fier de sa filiation et du caractère que sa famille a donné à l'établissement. « C'est une jolie vitrine de l'esprit jurassien et franc-comtois attaché à sa liberté, capable d'héroïsme ordinaire, avec le sens de l'accueil, quelque chose d'humain. On est sur une frontière mais nous ne formons qu'un pays ». Comme les deux Michel, le Suisse et le Français, qui partagent chaque matin « le verre de la conciliation », fendant ou jura...
En plein dans la philosophie des cafés historiques définie par l'écrivain André Bercoff « des cafés à gueule d'atmosphère, des cafés à Histoire et à histoires, des cafés qui fument, qui boivent, qui chantent, qui s'engueulent, qui se parlent, qui draguent, qui échangent, en un mot qui vivent ».
A La Cure, on répond à tous ces critères et même plus. L'hôtel Arbez offre aussi une table aux couples en crise. Avec un couvert en Suisse, l'autre en France. Et si l'ambiance se réchauffe on peut louer la chambre de la réconciliation. Le lit est juste sur la frontière.

Emblème de l'établissement, les joueurs de belote rappellent une fameuse anecdote douanière.

Trois générations sur le pont la maman Marie-Colette, ses enfants Alexandre et Bérénice et la future relève.
Association Les mordus des cafés historiques et patrimoniaux d'Europe
La Table Ronde
7 place Saint-André
38000 Grenoble
Tél : 04.75.44.51.41
http://www.cafes-historiques.com
Source : http://www.estrepublicain.fr