Les vieux contes Haut-saônois

Panorama culturel en Franche-Comté
Répondre
Avatar du membre
pieradam
Cancoillotte Addict
Cancoillotte Addict
Messages : 14285
Enregistré le : lun. 24 sept. 2007, 13:56
Localisation : Besançon

Les vieux contes Haut-saônois

Message par pieradam »

De ma jeunesse déjà lointaine, surgit un souvenir ému, émergeant des brumes du passé.
Non sans quelques regrets ; je me revois adolescent, vivant une vie si différente de celle que nous connaissons actuellement.
Il y a une quarantaine d’années, le progrès n’avait pas encore fait ce prodigieux bond en avant et nous n’avions, nous ne soupçonnions même pas la possibilité des commodités et des bienfaits de la science moderne.

La fée Electricité, dans les campagnes notamment, était presque méconnue, sinon très rare, et considérée comme un luxe inaccessible ( et pourquoi vous le cacher comme une invention diabolique ).

On s’éclairait, le soir à l’aide de lampes à pétrole et même de vulgaires chandelles de suif, émettant une pauvre clarté tremblottante et nauséabonde.

Combien de fois ai-je entendu ma mère dire, devant nos mines dégoûtées à la présentation sur la table familiale, d’une bonne potée, appelée aussi familièrement « retiron « :

« Vous êtes trop gâtés, vous ne savez plus sur quoi mordre ;de mon temps…. »et elle nous racontait, pour la nième fois, la vie laborieuse qu’elle avait vécue, et ses parents avant elle, jadis.

Pour l’habillement, je ne peux songer sans frémir au grossier habit de droguet dont on nous affublait, mes frères et moi, pour aller à l’école ; vêtement propre, bien sûr, mais totalement dépourvu de la moindre élégance.
Les pieds chaussés, en toute saison, de sabots de bouleau ou de hêtre noircis à la suie ! Les plus aisés de mes condisciples, que nous enviions secrètement arboraient fièrement des sabots « des dimanches » ,jaunes ,rouges, vernis et décorés de rutilants clous de cuivre.

Et pourtant, cela ne nous empêchait pas d’avoir le pied léger et de bondir comme de jeunes faons, sitôt libérés de la férule du vieux maitre d’école dont je me souviens avec un certain attendrissement. Cher Monsieur Comparon…
A cette époque, quoique la fréquentation de l’école ait été gratuite et obligatoire Oh ! Jules Ferry ),les bienfaits de l’instruction n’étaient pas toujours appréciés à leur juste valeur.

Et le pauvre instituteur, devant les bancs de sa classe presque vide surtout pendant la belle saison, hésitait, le brave homme, à signaler, comme la loi l’exige, les noms et adresses des absents, toujours les mêmes, hélas !..oh !ce n’était pas l’école buissonnière que fréquentait ces sacripants !..Mais la terre exigeante avait besoin de tous les bras valides pour la fenaison, la moisson et l’arrachage des pommes de terre. Et la vie rurale était dure, très dure.

Dans les champs, tous les travaux agricoles, ou presque, s’effectuaient à la main, sans l’aide de toutes ces machines perfectionnées qui, depuis, font que les paysans d’aujourd’hui sont à de rares exceptions, libérés de l’antique esclavage de la terre. Et puis un sou c’était un sou.

Ne soyez pas étonnés d’apprendre, ce n’est que trop vrai, la modicité des salaires d’ouvriers agricoles d’il y a quelque soixante ans. Un « commis »de ferme recevait annuellement, je dis bien : annuellement un bel écu de cent sous et une paire de sabots « à bottes «et cela pour une besogne harassante de douze à quinze heures par jour, suivant l’importance et la date des grands travaux.
Il était nourri, bien entendu, mais rares étaient les privilégiés qui s’asseyaient à la table du maître.
Le menu quotidien était simple. Le plat unique revenait très souvent sur la grande table en chêne massif, appelée « maie » ,à l’intérieur de laquelle, le couvercle rabattu, on pétrissait le pain bis pour la semaine :des légumes retirés de la soupe et agrémentés d’un morceau de lard fumé ou de côtis.

Le dimanche, jour de liesse, on servait soit un coq un lapin ou un imposant plat de choucroute garnie .De vin, point !.de l’eau fraiche et claire, tirée du grand puits, ou une cruche de cidre pendant les grands travaux.
Une « goutte « quelquefois terminait le repas, de cette eau de vie de prunes, de pommes ou de cerises qu’on « tire « à quelque cinquante degrés et qui perd un degré après refroidissement.
Cette liqueur vous brûle le gosier et les entrailles, mais elle a la propriété de « tuer le ver « .Cela ne coûtait que la peine de recueillir les fruits du verger qui « se perdent « et de les distiller dans l’alambic communal.

Le soir, généralement en hiver, quand l’activité était considérablement ralentie et que les champs ensemencés de grain se reposaient sous une épaisse couche de neige glacée, il y avait les veillées.
Elles apportaient une détente merveilleuse, indispensable à ces gens rudes et laborieux qui ne connaissaient, durant toute l’année, aucun répit, aucune distraction. Ces réunions étaient empreintes d’une franche camaraderie et de saine gaîté, sentiments que l’on retrouve rarement de nos jours, entrainés comme nous le sommes dans un tourbillon éffréné, hallucinant, d’une vie où la vitesse est reine.

Au vingtième siècle on dispose de l’automobile, de la radio et de la télévision, d’une nourriture riche et variée, voire raffinée, arrosée de crus célèbres à la portée des plus modestes.
On connaît des distractions coûteuses :le bal, le cinéma ,le théâtre.
On fréquente les casinos, les endroits chics ;mais croyez-moi ! On ne sait plus s’amuser. Blasés ? Peut-être !...
On vit, sans cesse sur les nerfs, une course échevelée, insensée et on n’apprécie plus, que dis-je, on dédaigne les jeux innocents et champêtre d’antan.
On n’a plus le temps de vivre.

Certaines veillées étaient fort goûtées, car chacun rivalisait, suivant ses moyens, bien sûr, d’ingéniosité pour rendre ces longues soirées plus vivantes et plus attrayantes.

Devant l’âtre où pétillait des bûches entières ou d’énormes souches d’arbres « quèleutches « les vieux tressaient des paniers, des corbeilles, en saule brut ou plumé, qui serviront à la récolte des « poirottes « ( pommes de terre )ou remplaçaient les dents cassées des râteaux de bois ou de manches des houes ou des crochets. Les aïeules, patiemment tricotaient des bas ou des mitaines. On jouait aux cartes entre hommes, en buvant la « goutte « à plein verre. Les jeunes, dans un coin de la vaste cuisine pavée de larges dalles de pierre, devisaient gaiement, chantaient ou écoutaient un des leur, barde improvisé, conter, en patois bien souvent, des histoires et des contes, des « fiomes « comme l’on disait alors.
Et ces contes, riches d’un folklore savoureux, se peuplaient de loups-garous, de magiciens qui vous envoûtaient, faisant frémir de crainte et d’excitation délicieuse, les jeunes filles vigoureuses.
Celles-ci étaient entourées d’un essaim de jeunes campagnards amoureux qui faisaient tout pour leur plaire et attirer leur attention.
Elles deviendraient plus tard, au retour du régiment, leurs épouses aimantes et dévouées, d’après les traditions séculaires immuables.





Ce texte a été écrit en 1966 par René HAAS, premier prix régional de Franche-Comté, et dédié à sa fille Danièle Miss Vesoul 1965
J'te veux faire voir,si l'coucou c'est une mère
Répondre