Eh oui,Domi, la violence et l'éternelle question des bonnes relations humaines... Eh oui, c'est toujours la même histoire. Sympa ton mot. Tu me rappelles Mitch.
Alésia et moi c'est une longue histoire qui commença... avec violence. Pourquoi pas la dire ?
Des coups de poings à démolir les épaules, de terribles claques qui pleuvaient sur nos tronches sans prévenir, des plumiers en bois qui volaient bas : gare aux têtes qui ne se baissaient pas rapidos, nos mains qu'il fallait cacher sous la lourde et vieille table en chêne pour qu'elles ne soient pas écrasées par notre tortionnaire, l'instituteur, vraie brute qui n'avait qu'un bras et qui savait s'en servir, bête épaisse habillée d'une éternelle blouse grise retenue par un ceinturon de cuir, qui montait sur les tables d'un coup de rein depuis l'estrade pour aller plus vite vers l'élève qui allait recevoir des coups et qui, comprenant que cela allait être pour lui, entourait sa tête de ses bras pendant que les autres, moi avec, avions mal de chaque coup que notre copain recevait en silence. Parce que celui qui recevait le plus de coups ne gémissait plus depuis longtemps. J'en ai toujours gardé le souvenir. Ce souvenir que nous en avions mal. Mal pour lui, peur pour nous. J'ai toujours gardé le souvenir de cette image aussi, de cette bête, un pied sur le banc du pauvre gamin qui ne suivait pas assez vite pour lui, et le bruit mat des poings qui bourraient ses côtes et ses épaules.
Voilà un aperçu de ce que les 45 élèves de la classe de Certificat d'études, dites primaires, et moi avec, subirent durant cette année 1965 à la ''très sainte Institution Notre Dame la Riche'' à Tours, grâce aux bons soins de monsieur E. instituteur très estimé. Un peu bourru mais estimé. Pensez donc ! Avec lui y z'avaient tous le Certif les gamins ! Un laïc, mais un type vraiment bien. Les autres profs des autres cours, des curés, l'avaient en haute estime. Alors ''mon petit, cela se passe bien avec monsieur E'' ? Le petit répondait ''oui monsieur le curé'' en regardant par terre.
En parler aux parents ? Impensable. La honte pour certains, des coups de plus pour d'autres qui avaient un père plus teigneux encore, la normalité, la fatalité acceptée pour d'autre encore comme moi. Et surtout on comptait les jours et on attendait le mois de juin avec plus de ferveur qu'un mendiant attendait son obole à la sortie de la messe.
On a tous eu le Certif, plus surement parce que nous étions terrifiés à l'idée de redoubler que parce qu'il fallait que nous ayons ce fichu Certif. Je crois même que nous avons couru vers ce lycée Rabelais ce matin de juin 65, de peur d'être en retard. Avoir ce maudit Certif c'était notre billet pour une autre vie. Une vie sans peurs...et sans coups.
Et c'est cette même année que mon pote Jojo et moi qui partagions le même banc et habitions pas loin l'un de l'autre, avons découvert des bouquins dans le grenier d'un voisin. Des bouquins sur Alésia. C'était deux volumes sur Alésia de Jules Toutain, un livre de J. Rosny Aisné sur la défaite navale des Armoricains face à César dans le golfe du Morbihan, des bouquins sur les antiquités celtiques et romaines et quoi d'autres encore. On était fasciné, et cela a changé notre vie, enfin je veux dire d'abord et surtout notre vie scolaire durant cette année si violente. On oubliait tout, on s'évadait, j'oubliais tout. Alors dire que ma rencontre avec Alésia a été salutaire, c'est peu dire. Et Alésia, je veux dire le thème d'Alésia, m'a aussi aidé bien souvent ensuite à tenir face à la bêtise humaine. j'oubliais tout, de même, en lisant des revues ou des bouquins, ou le Bello Gallico...
J'avais donc treize ans. Mon pote Jojo, un an de plus, a gardé un lancinant mal dans le bas du dos à force de trop de coups de pieds, et il a encore des douleurs, moi ce fut de graves problèmes de l'oreille interne. Pas fait pour recevoir des coups, l'oreille, pas fait pour cela.
Quarante cinq ans plus tard, c'est Jojo qui imprima mon premier texte sur Alésia. Lui a pas mal bifurqué sur les BD et aussi sur la Bataille de Normandie, le Débarquement. Moi je suis resté attaché à la vieille cité celtique. Il n'y a pas beaucoup de sites que je n'aie pas visité, mais bon, il y en a quand même, comme pont de Roide ou Novalaise.
Heureusement qu'il y a eu Alésia dans nos vies à ces moments là, et heureusement que cela dure encore, pour moi en tout cas, aujourd'hui. Il m'arrive de m'éloigner de ce sujet parfois, mais j'y reviens toujours. Ainsi dans ce forum depuis l'été dernier.
En fait, ma découverte du monde de l'Histoire durant cette année ''horibilis'' fut un melting pot où je m'intéressais à toutes les époques, depuis la préhistoire avec La guerre du feu du même Rosny-Aisné, une époque vers laquelle je me tourne de plus en plus depuis que je suis revenu revoir le site de Bougon dans les Deux Sévres - un site fabuleux qui nous fait revivre six mille ans en arrière avec les constructeurs de ses somptueux tumulus royaux, édifiés deux mille ans avant les pyramides d'Egypte, incroyable ; l'époque gauloise ( en 1965 / 70 on disait plutôt les Gaulois que les Celtes, un terme très peu employé alors), puis la fin de l'indépendance avec Alésia et Uxellodunum ; je m'intéressais aussi aux époques mérovingiennes et carolingiennes. Puis le Moyen-Âge prit le dessus assez longtemps.
Une deuxième naissance pour Alésia prit place dans mes lectures avec l'achat de mon premier de Bello Gallico, après avoir découvert, vers mes seize ans, que je m'étais baladé un dimanche sur une ancienne voie romaine, celle qui relie Tours à Poitiers, au sud de Tours, dans les bois de Balland Miré. Un nouveau choc et l'achat du BG, puis vint très vite l'envie d'aller voir Alésia... d'aller là où Jules César et le grand chef gaulois Vercingétorix avaient été face à face !
Autre grand choc visuel et émotionnel, le jour où, depuis Paris où j'étais apprentis, je pris le train avec trois francs six sous en poche pour Alésia ! ''Un billet aller et retour pour Les Laumes Alesia s'il vous plaît madame'', ai-je dû dire alors, tout excité à l'idée d'aller voir un lieu unique... Ce devait être en 68. Autre année pas ordinaire...
Et depuis, l'eau des flumina d'Alésia continuent leur chemin d'eau, et ce forum étonnant aussi !
