un peu de soleil dans la journée!!
L'"écovillage" de Bimini Place, utopie écologiste au coeur de la mégapole de Los Angeles
Lemonde.fr
En passant le seuil du 117 Bimini Place, au coeur de Los Angeles, on entend un coq chanter. A l'arrière du petit immeuble début du XXe siècle, il y a un jardin. Et une petite dame en pantalon et gros pull sombres, aux cheveux gris, aux yeux bleu ciel, qui sourit en guise de bienvenue.
C'est Lois Arkin, la fondatrice de l'"écovillage" de Los Angeles, le seul au monde sans doute situé au beau milieu d'une mégapole.
Faire visiter les lieux fait partie de ses habitudes. "Notre objectif est de démontrer qu'on peut vivre mieux, tout en limitant son impact sur l'environnement, explique-t-elle. Nous pensons qu'il est préférable de changer notre propre comportement avant d'expliquer aux autres quoi faire."
Quand elle était jeune, Lois, 71 ans aujourd'hui, a connu la vie que mènent la plupart de ses compatriotes. "J'avais une grande maison, deux voitures, deux chiens et un mari." Son divorce l'a conduite à "tout réévaluer : cette vie centrée sur les biens matériels ne me réussissait pas".
Le 117 Bimini Place ne ressemble pas aux écovillages célèbres de Bedzed à Londres, ou de Fribourg en Allemagne, flambant neufs et bardés de technologies innovantes. Lois et le petit groupe d'architectes et d'écologistes qui ont fondé l'endroit avaient pourtant ce genre de projet en tête quand ils se sont lancés dans cette aventure, au début des années 1990. Ils avaient même repéré un terrain en banlieue pour bâtir leur cité idéale. En 1992, les émeutes consécutives à l'acquittement des policiers qui avaient tabassé Rodney King ont changé leurs plans. "Le quartier avait été ravagé par les flammes, tout le monde partait, raconte Lois. Nous avons eu l'opportunité d'acheter un bâtiment ancien pour pas cher, un taudis que nous avons entièrement rénové."
L'immeuble compte aujourd'hui 35 habitants. Les appartements, des studios ou des deux-pièces, sont loués pour 450 dollars par mois (près de 280 euros), moitié moins cher que la normale.
Quand on emménage ici, la vie de tous les jours change. "L'idée, c'est que les gens économisent au maximum, explique Lara Morrisson, 57 ans, la directrice du site. Mais on ne tient pas de statistiques."
Le simple fait d'habiter en centre-ville et en appartement réduit considérablement les besoins en eau et en énergie par rapport à la moyenne américaine : pas de longues distances à parcourir, pas de vastes pièces à chauffer ou à climatiser, pas de pelouse à arroser. Avec 20 tonnes de CO2 par an et par habitant, les Américains sont parmi les plus gros pollueurs au monde.
Les logements comportent en outre tout l'attirail du parfait écologiste : chasses d'eau économiques, ampoules basse consommation, poubelles sélectives.
Chacun alimente le tas de compost du jardin. Le sol de l'escalier est fait de pneus recyclés, les dalles de moquette viennent de chez InterfaceFlor, une entreprise qui met en pratique les principes de l'économie circulaire : elle loue les dalles et les remplace quand elles sont usées, afin de les recycler. Les légumes et les fruits sont achetés en gros à un producteur du marché biologique de la ville.
Trois appartements seront bientôt alimentés par des panneaux solaires.
Le plus gros sacrifice, c'est sans aucun doute la voiture.
S'en passer dans l'immense Los Angeles, c'est comme se priver de vélo à Pékin ou de métro à Paris. Du fait de la faible densité de l'agglomération, les transports en commun sont inexistants.
Et malgré l'omniprésence d'autoroutes larges comme des pistes d'aéroport, les 20 millions d'habitants passent des heures chaque jour dans les embouteillages.
Ici, tout le monde roule à vélo. "Nous voulons faire de Los Angeles un endroit plus durable, explique Ron Milam, un militant de la bicyclette.
La ville est idéale pour le vélo, c'est plat et les rues sont très larges." Tous les locataires du 117 Bimini Place sont très admiratifs du Vélib' parisien. Ils ont des ordinateurs et Internet, mais pas la télé. "
La plupart des gens sont conscients désormais de la pollution de l'air et de l'eau, mais ils n'ont pas encore réalisé que la publicité est une forme de pollution de l'esprit", regrette Lara.
Chaque dimanche soir, les locataires se réunissent autour du dîner communautaire. Chacun apporte un plat - personne n'a amené de viande.
Autour de la table, il y a des étudiants, des musiciens, des militants associatifs, un garagiste, une urbaniste, un électricien, un informaticien.
La moyenne d'âge tourne autour de 30 ans. "Je vis ici parce que je refuse le modèle de vie à LA, raconte David Auerbach, étudiant en physique.
Tu es coincé dans ta banlieue, puis coincé dans ta voiture, puis coincé dans ton bureau."
Les habitants doivent participer à la gestion de l'écovillage, débattre des aménagements, des nouveaux membres. "C'est contraignant et parfois ça donne lieu à des conflits, mais ça nous rappelle que nous sommes des êtres humains", estime David.
La procédure pour emménager comprend pas moins de quatre votes. "C'est normal, estime Kathy Hill, une impétrante. On peut facilement se tromper sur les gens, et c'est difficile de faire partir quelqu'un." Et vu le prix des loyers, les candidats sont nombreux.
Le 117 Bimini Place tente d'avoir un impact sur le quartier. Ses habitants ont fait changer le revêtement du trottoir, pour récupérer l'eau de pluie et la purifier avant le retour à l'océan.
Une centaine d'arbres fruitiers ont été plantés dans le quartier, malgré l'opposition des autorités de la ville - un passant pourrait glisser sur un fruit et faire un procès.
Ses habitants voient avec satisfaction des initiatives similaires se multiplier dans le monde, au sein du Global Ecovillage Network (GEN), créé après le Sommet de la Terre de Rio en 1992. Mais eux-mêmes ne cherchent pas à grossir. Plutôt à "inspirer".
"Entre notre mode de vie et celui de l'Amérique moyenne, il y a un gouffre, reconnaît Ron. Mais entre les deux, il y a des centaines de milliers de personnes qui cherchent des alternatives."
Gaëlle Dupont