Doubs : de l’eau où baignent les écrevisses

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Domi
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Doubs : de l’eau où baignent les écrevisses

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D’une petite écrevisse du Haut-Doubs aux ZAD de Sivens ou Roybon, comprendre l’enjeu des zones humides.

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Elle est toute petite, toute mignonne avec ses grosses pinces et colonisait fut un temps nos plus prestigieux cours d’eau, lorsqu’ils faisaient encore l’admiration de tous, comme la Loue ou le Doubs franco-suisse, faisant aussi le régal de nos aïeux. Depuis le début des années 80, plus question de l’assaisonner à la mode comtoise, où toute autre goûteuse recette : la bestiole est protégée, inscrite sur la liste rouge des quelque 23.000 espèces menacées à travers le monde.

Plus discrète que le tigre du Bengale ou le rhinocéros de Java mais tout aussi menacée, la population d’écrevisses à pattes blanches a chuté de 80 % en un siècle dans le seul département du Doubs. Cette espèce patrimoniale a aujourd’hui rejoint le rang ambigu de bio indicateur d’un milieu naturel de qualité. Aujourd’hui, on ne la trouve plus en effet que dans quelques poches de survie, réfugiée en tête de bassins, une vingtaine de ruisseaux comme la Vauclusotte, le Lhaut, les Mercureaux, la Ranceuse ou le Mambouc…, « bien loin de son biotope originel. Clairement, c’est le début de la fin » lâche, réaliste, Alexandre Cheval, garde-pêche à la fédération départementale du Doubs.

La récente complainte d’un agriculteur de Belvoir, qui se plaignait amèrement des aménagements imposés dans ses champs traversés par la Barbèche par l’arrêté de protection de biotope, pris en 2009 par le préfet du Doubs, a fait grincer des dents les écologues de la fédération et d’autres organismes de défense de l’environnement. « Non seulement, c’est le propriétaire riverain qui définit lui-même ses besoins d’aménagement pour répondre à l’arrêté, mais ceux-ci sont financés à 75 %. C’est-à-dire que les 25 % restant ne sortent absolument pas de sa poche mais se comptent uniquement en heures de travail de sa part » note de son côté Thomas Groubatch. « Il se plaint de la laideur de ses cinq ponts mais il s’est fait construire une autoroute à tracteur. Un de ses voisins de la Vauclusotte a choisi un pont en bois sur lequel passe sans problème un grumier de 50 tonnes et qui a coûté trois fois moins cher à l’unité. »

« Tant qu’on s’engueule, on n’avance pas » résume Alexandre Cheval, avec son franc-parler coutumier « là, c’est paradoxal. Les agriculteurs sont toujours à râler qu’on leur dit ce qu’ils doivent faire, pourtant, sur ce coup-là, on les a laissés faire. » Et puis, « ce qui est fait pour l’écrevisse profite aux autres espèces. On parle de milieu à protéger, là » ajoute Thomas Poulleau, un autre biologiste, agent de développement de la fédération de pêche du Doubs. « Le combat qui est mené, à travers l’écrevisse, c’est celui de la ressource et de l’accessibilité à l’eau potable pour les générations de demain. »

« D’ici 2020, en raison du dérèglement climatique, 30 à 40 % des territoires vont manquer d’eau. »

Justement, cette loi sur l’eau, ces derniers mois, a été plus qu’à son tour la cible du principal syndicat agricole, la FNSEA. Ici, une écrevisse trop encombrante, là un fossé que l’on n’aurait pas le droit de curer, un ruisseau impossible à redresser et encore là, une zone humide impossible à combler ont fait autant de coups médiatiques qui ont parfois eu les honneurs des journaux télévisés… Une agitation que Jean Raymond, administrateur de la CPEPESC et de l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse pour le compte des associations de défense de l’environnement de Franche-Comté met sur le compte de la réorganisation de la Politique agricole commune. « Leurs revenus diminuent, la consommation se contracte et on leur demande encore plus d’efforts dans une perspective encore floue. Ils mettent la pression… » Mais, pour ce fin connaisseur du milieu naturel et agricole, ancien de l’Office national des forêts, de la Direction départementale de l’agriculture puis des territoires, cette hostilité affichée face à la cause environnementale est en passe de se dissoudre dans « un grand mouvement de fond agricole pour produire avec moins d’intrants : engrais, insecticides, médicaments… Ne serait-ce que pour diminuer les charges d’exploitation, on va revenir à une agro-écologie faite de polyculture et d’élevage, de circuits courts. C’est ainsi que sont formés les jeunes aujourd’hui et c’est ce que promeut la nouvelle PAC, au détriment des grands céréaliers, gros consommateurs d’eau. »

Foncièrement optimiste de ce côté, Jean Raymond l’est moins vis-à-vis de la ressource en eau dont il est finalement question. « Les projections sur le Rhône à l’horizon 2030 montrent que le débit d’étiage va baisser de 30 % quand, dans le même temps, les prélèvements de l’agriculture, de l’industrie et de la population vont progresser de 20 %. D’ici 2020, en raison du dérèglement climatique, 30 à 40 % des territoires vont manquer d’eau. Et qui dit baisse de la ressource, dit augmentation de la concentration de polluants. »

Les petits ruisseaux faisant les grandes rivières, c’est donc en amont qu’il faut tourner le regard, là où, justement, barbote encore notre écrevisse à pattes blanches. Car sa présence est synonyme d’abondance.

« L’article 1 de la loi sur l’eau dit bien que l’eau fait partie du bien commun et que la maîtrise de son usage est d’intérêt général. C’est d’ailleurs l’usager lambda qui finance 80 % de l’action des agences de l’eau, dont l’effort se porte aujourd’hui vers les eaux de surface et souterraines. »

Ces fameuses zones humides dont on commence à prendre conscience dans le grand public, à l’occasion des conflits de Sivens ou Roybon. « Une zone humide, ce n’est rien d’autre qu’une éponge, une réserve d’eau qui alimente les cours d’eau lorsque leur niveau baisse en été. Elles ont été formées par les glaciers sur des cycles millénaires mais, ces trente dernières années, leur surface a diminué de moitié. »

Alors, bien sûr, les aménageurs mettent en avant les « mesures de compensation ». Une bien belle formule.

« C’est une connerie, une vue de l’esprit, ça ne marche pas » tranche Jean Raymond, « on ne recrée pas un biotope à coups de godet de pelleteuse. On l’a encore vu sur le tracé de la LGV en Franche-Comté. Ça se remplit quand il tombe 100 mm de pluie et trois cents jours par an, c’est à sec. La seule solution, c’est d’éviter de ravager ces zones. C’est-à-dire de créer les conditions d’une véritable concertation en amont des grands projets. Il faut arrêter de présenter des projets monolithiques portés par un seul lobby. »

À Roybon, dans l’Isère, on parle de 200 ha de zone humide sacrifiés sur l’autel du développement économique. À Sivens, le commissaire enquêteur avait conclu au rejet du projet, qui a malgré tout été lancé sous la pression des élus et des agriculteurs.

Face à cela, la parole des maudits prophètes de l’environnement est absolument inaudible. Jusqu’au durcissement de la ZAD et la mort du jeune environnementaliste Rémi Fraisse.

« Moi, les ZAD, je n’y vais pas. Il y a un certain nombre d’intégristes et je ne cautionne aucune violence, ni d’un côté ni de l’autre. Par contre, il y a une majorité de gens qui veulent défendre des zones naturelles sensibles, que les politiques essaient de marginaliser comme des Indiens dans une réserve. Ce sont des lanceurs d’alerte qui font la démonstration que la concertation en amont sur ces grands projets ne fonctionne pas. »

Et de mettre en avant l’un de ceux-ci, aujourd’hui considérablement réduit qui visait à pomper dans le Rhône pour alimenter en eau l’agriculture et la viticulture du Languedoc-Roussillon, « et même en vendre aux Espagnols. » Chose qu’il serait très imprudent de réaliser dans le contexte de réduction de la ressource.

« Il faut d’autant plus revoir notre façon de fonctionner que ces retenues collinaires dont on a parlé à Sivens, on va avoir besoin d’en créer quelques-unes. Et, à condition de ne pas détruire le milieu naturel auquel elles s’adossent, elles peuvent satisfaire tout le monde, agriculteurs, économie touristique, tout en constituant une réserve en eau potable ! »
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