Formation des maitres du primaire 1870-1919

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pieradam
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Formation des maitres du primaire 1870-1919

Message par pieradam »

Le livre de Jacques Gavoille (qui fut maître
de conférences en histoire contemporaine
à l’Université de Besançon), publié par les
Presses Universitaires de Franche-Comté,
nous permet en ces temps où l’on sacrifie de plus en
plus à l’immédiateté de prendre un recul nécessaire, car comme dit
l’auteur : « il est bon de connaître le passé pour comprendre le présent
et appréhender l’avenir ».
La qualité de l’étude est certifiée par le chercheur que l’on peut considérer
à bon droit comme étant le meilleur connaisseur des questions
d’Education Nationale : Antoine Prost. Notre compatriote jurassien loue
dans sa préface un ouvrage très neuf, « fruit d’un travail de bénédictin
». Au départ, on peut être étonné par les extraits suivants du
rapport de l’Inspecteur Général de l’Enseignement primaire en mission
dans le Doubs en 1880. « Les Franc-Comtois ont la ténacité des habitants
d’Outre-Rhin et la vanité des Espagnols [...]. Doué d’un esprit positif et
porté vers les sciences exactes, [le Franc-Comtois] a plus de réflexion
que de sentiment, plus de jugement que d’imagination, plus d’égoïsme
que de générosité. Son tempérament bilieux et lymphatique exerce une
certaine influence sur ses études. »
Mais l’essentiel, c’est que le Doubs figure en fort bonne place quant au
degré de scolarisation. Lors de l’adoption de la loi de 1881 imposant
l’obligation d’aller à l’école, seulement 6 % des garçons, et 8 % des
filles de 6 à 13 ans échappaient à l’école donnant « 3 500 recrues à
l’armée de l’ignorance, du vice et de la sottise » comme l’affirmait sans
barguigner l’inspecteur d’académie.
On est frappé par le fait que les classes étaient assez souvent très
chargées, surtout dans les cantons industriels où le nombre moyen
d’inscrits est de 40-45 en 1905 contre 50-55 vingt ans auparavant.
Le record est-il battu par Nods, où en 1897 les effectifs se montent à
79 ? L’inspecteur primaire note : « le maître succombe à la tâche... les
intérêts scolaires sont menacés pour l’avenir. »
Le niveau professionnel des enseignants s’améliore grâce à l’action des
Ecoles normales au sein desquelles la discipline est stricte. Ainsi, le
règlement de l’EN de filles de Besançon, précise en 1897 à l’article 31 :
« Les élèves-maîtresses doivent se tenir et se conduire avec la correction,
la retenue discrète et la bonne grâce qui convient à des femmes et à
des institutrices. Elles doivent être sérieuses quoique gaies et enjouées,
simples, aimables, distinguées si possible. Elles doivent éviter toute
affectation et craindre la vulgarité. »
A Battant, une propreté passable
A l’Ecole normale de garçons, 6, rue de la Madeleine, on pourchasse
les “mauvais livres”, Nana de Zola, dont le directeur dénonce « les tendances
pornographiques » conduisant à des « excitations malsaines »,
Baudelaire, Verlaine, et George Sand, sont indésirables... Les autorités
éprouvent souvent un certain dédain à l’égard des enfants d’ouvriers,
ainsi à Laissey en 1893, l’inspecteur estime que « si les enfants sont
polis, ils ne sont pas trop malpropres pour des fils de forgerons » et
Battant est « un quartier où il faut une certaine énergie pour obtenir une
propreté passable, de la discipline et du travail »...
Il faut tordre le cou à une légende. On continue à raconter que les
maîtres d’écoles étaient autrefois respectés. Or Jacques Gavoille, qui
a pris la peine d’étudier 541 copieux dossiers professionnels conservés
aux archives est formel : « rares sont ceux qui ne contiennent aucune
plainte et certains d’entre eux en comptent plus d’une dizaine, anonymes
ou non ». Les dénonciations conduisent les inspecteurs à enquêter...
et l’on découvre des situations parfois cocasses. Ainsi à Cendrey en
1883, douze pétitionnaires s’en prennent au maître d’école « accusé
notamment d’avoir prêté à un élève un livre immoral intitulé “Le trou du
diable”... Rapport de l’inspecteur après enquête : en fait il s’agissait de
“La Mare au diable” de George Sand.
Les relations avec la population ne sont pas toujours faciles. Ainsi, à
Sainte-Anne « tous les étrangers de la localité sont considérés comme
de véritables bêtes fauves ». Mais il ne faut pas généraliser : proposée
pour une promotion, l’institutrice du Barboux répond : « ce village m’est
aussi cher que mon pays natal... et les habitants en sont si bons ! »
Les élèves ne sont pas toujours aussi sages que ceux du Barboux. Face
aux turbulents, aux insolents, le recours aux châtiments corporels est
interdit, depuis 1834 : « les élèves ne pourront jamais être frappés »,
mais il y a des exceptions. Les inspecteurs cherchent à dédramatiser.
Voici une institutrice accusée de coups et blessures. L’inspecteur
relativise « je veux bien que, de temps à autre, elle ait donné quelques
calottes à certaines petites filles, mais cela ne s’appelle pas battre
les enfants. »
Voici un incident plus sérieux en 1902 : « Le jeune F. a insulté un camarade
sur le chemin de l’école en lui demandant si son père mouillait
toujours son lait, et, dans la rixe qui suivit, plus fort que son adversaire,
il lui fit quelques blessures ; quand le maître demanda à F. d’expliquer sa
conduite, celui-ci lui répondit grossièrement et se plaça devant lui en faisant
des gestes provocateurs ; M. B. ne put retenir sa colère ; il donna un
soufflet à l’insolent et le poussa brusquement à la porte. Voilà seulement
ce qui s’est passé. M. B. est un bon maître, qui s’occupe sérieusement
de l’éducation de ses élèves. Il aurait bien fait en cette circonstance de
s’abstenir de frapper F. ; mais, l’insulte subite, inattendue, qu’il a reçue
devant ses élèves lui a fait perdre son sang froid [...] »
« Soutenable comme maître, détestable
comme fonctionnaire »
Au passage, notons que dans les villages, le climat était souvent très
lourd, quand il était prouvé qu’un paysan avait « mouillé » son lait par
appât du gain. Quelle honte pour la famille, mais aussi que de cas où la
rumeur diffusait des soupçons dénués de fondements !
Les instituteurs pouvaient aussi se heurter aux parents pour des questions
d’hygiène ; « un maître se fait un ennemi d’un père de famille dont
les enfants sèment des poux sur la table de l’école ». Si le maître d‘école
est assez souvent dans le collimateur des parents, il doit aussi se montrer
prudent à l’égard des élus, des maires, des députés en un temps où
la République est encore fragile, n’hésitant pas à demander - avec succès
- le déplacement de qui ne leur plaît pas. Voici par exemple Tramu,
député radical de Besançon rural, qui, en 1899, demande « au nom de
la défense républicaine » le départ de l’instituteur de Rurey, coupable
de « jésuitisme à haute dose ». Voici son gendre, lui aussi député, qui
demande la nomination à Cessey de Monsieur X « car il est demandé par
le parti républicain ».
Savoureuse appréciation sur un « clérical et réactionnaire » qualifié de
« soutenable comme maître, détestable comme fonctionnaire »... ce qui
signifie : ne fait pas mal son travail, mais n’est pas un serviteur du gouvernement
à une époque où l’on estime que les fonctionnaires doivent
soutenir la majorité au pouvoir.
Il y aurait bien d’autres choses à dire sur une étude d’une grande rigueur
due à un universitaire exigeant, qui fut aussi un syndicaliste du
SGEN-CFDT spécialisé dans les questions pédagogiques. Terminons par
une précision relative au patois et par une anecdote piquante. En 1879,
les instituteurs du Doubs donnent leurs avis à propos de la langue.
« C’est surtout dans l’enseignement que l’usage du patois amène des
conséquences déplorables. Les enfants des campagnes ne sont pas plus
dépourvus d’intelligence que ceux des villes, et quand arrive pour ces
pauvres enfants le moment de faire quelques rédactions, des résumés de
lecture ou de petites lettres, il faut avoir dirigé une école rurale pour se
rendre compte de l’embarras qu’ils éprouvent à s’exprimer en français,
eux qui pensent en patois ! Ce qu’il y a de certain, c’est qu’aucun instituteur
de notre département ne s’est fait le champion du patois, tous le
proscrivent à l’école et dans les récréations et déjà leurs efforts sont couronnés
de succès ; les voyageurs qui demandent leur chemin à nos petits
villageois ne sont plus exposés à les voir leur rire au nez sans pouvoir
leur donner de réponse ; les familles tiennent beaucoup, de leur côté, à
ce que les enfants soient exercés à parler français et ce serait aller contre
leur voeu que de conserver un jargon qui diffère d’un clocher à un autre. »
Les instituteurs organisaient souvent des cours d’adulte. A Epeugney
(1898) « après quelques conférences sur l’alcoolisme, les cabarets commencent
à devenir déserts. Le conseil municipal a voté des félicitations à
l’instituteur ». Quel satisfecit pour le membre d’une corporation au sein
de laquelle, selon les propositions des maîtres de Pontarlier, on faisait
après une leçon de morale, recopier les maximes suivantes : « si tu veux
un remède contre l’ivrognerie, regarde un ivrogne. Les ivrognes sont un
fléau pour leur famille et pour tous ceux qui les entourent. La sobriété et
la tempérance nous donnent des habitudes d’ordre, de travail et d’économie
qui nous procurent aisance et contentement ».
Joseph PINARD
BVV.Mars 2011
J'te veux faire voir,si l'coucou c'est une mère
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